Avr 302016
 

Taxation« La taxation est-elle une solution au vice ? ». Non, démontre Guy-André Pelouze (chirurgien des hôpitaux au centre hospitalier Saint-Jean à Perpignan) dans une tribune parue dans Le Monde daté du 29 avril. Elle serait, plutôt, « la porte ouverte au vice de l’État, qui détourne l’argent prélevé sur la base de motifs bien intentionnés pour en faire des ressources fiscales destinées à financer sa politique ». A lire dans son intégralité.

•• « La théorie économique dit que l’imposition compense les « externalités négatives » du marché des produits nocifs. À condition que l’État n’en détourne pas le produit …

« Taxer un individu ou une entreprise, c’est contraindre à payer un montant en général proportionnel à un revenu ou à un actif. Tous les systèmes politiques ont recours à la taxation. « Je vais donc vous donner de quoi semer, et vous sèmerez vos champs, afin que vous puissiez recueillir des grains. Vous en donnerez la cinquième partie au roi ; et je vous abandonne les quatre autres pour semer les terres et pour nourrir vos familles et vos enfants » (Genèse 47 : 24), dit la Bible.

 « Si la taxation est ancienne, l’utilisation des taxes varie selon les systèmes politiques. En France, en 2014, ces ressources (44,7 % du produit intérieur brut – PIB) sont utilisées pour financer les fonctions régaliennes de l’Etat et l’Etat-providence (31,9 % du PIB).

« Par ailleurs, la notion de vice est intimement liée à la morale et renvoie aux interdits religieux. Ce que l’on appelait vice dans la perspective de la tentation du mal a été requalifié par la science en « addiction ». Addiction à des substances, par exemple la nicotine, ou à des pratiques, comme le jeu, ou à des comportements, comme la boulimie compulsive.

•• « La nicotine est un psychostimulant présent dans les feuilles de tabac dont les effets sont, comme pour la feuille de coca, connus depuis longtemps. Dès l’ère industrielle, la consommation de tabac fumé s’est développée, la pyrolyse permettant la prise de plus de nicotine par simple inhalation. Du vice à l’addiction, la transition n’est pas neutre. Dans le premier, l’individu est tenu pour responsable de ses choix de vie ; dans l’addiction, la responsabilité de l’individu peut être atténuée au motif que nous ne sommes pas égaux face à la dépendance.

•• « Les penchants particuliers pour les addictions ou les comportements moralement condamnables sont l’objet d’une interdiction (une prohibition) ou d’une taxation. L’histoire nous montre que la prohibition ne supprime pas le vice. En France, le cannabis est interdit, mais il est consommé par beaucoup de Français, y compris des adolescents. Comme l’héroïne, la cocaïne est interdite, mais la consommation n’a jamais été supprimée, et si elle a baissé, c’est en raison de l’apparition sur le marché d’autres drogues de synthèse toutes aussi interdites.

« Il est donc surprenant que certains médecins demandent l’interdiction du tabac. Cette opinion formellement généreuse, en plus d’entraver dangereusement la liberté individuelle, conduit en pratique au pire. La prohibition encourage la contrebande, la mauvaise qualité des produits consommés et d’autres activités criminelles. De surcroît, elle augmente paradoxalement la consommation.

L’exemple australien

•• « Si la prohibition ne peut venir à bout des vices humains, il est souvent avancé que la taxation le pourrait. Les intentions des États sont ici parfaitement illisibles. La taxation apparaît comme un compromis entre des intérêts puissants et un affichage de prévention. Pour autant, les avocats des taxes comportementales répondent par l’argument du niveau de taxation. Si celui-ci est très élevé, disent-ils, la consommation baisse. C’est déjà une concession, puisque personne ne s’aventure à pronostiquer une disparition du tabac fumé… Néanmoins, ces avocats ont de sérieux arguments, en particulier l’expérience australienne. Un continent isolé par la mer et de culture anglo-saxonne a réussi à infléchir sérieusement la consommation, en augmentant les taxes jusqu’à rendre le paquet de cigarettes très cher. Mais ce n’est pas du tout la situation de la France. Si bien que, en Europe, force est de constater que les taxes ne peuvent venir à bout des vices.

•• « En théorie économique, la taxation supplémentaire des substances addictives a un fondement parfaitement légitime : celui des externalités. La consommation de tabac produit des effets que le marché n’internalise pas dans le prix. La médecine connaît avec précision les maladies induites par le tabac. Le coût des soins dus aux complications du tabac est payé par d’autres, dans le cadre de la mutualisation de l’Assurance-maladie ou des impôts. Ces externalités négatives sont en partie seulement compensées par la moindre espérance de vie qui fait que les pensions ne sont plus versées. Grace à l’exhaustivité des données de soins et à leur précision, nous pouvons effectivement calculer l’équation des externalités.

« C’est pourquoi la taxation « pigouvienne » – du nom de l’économiste britannique Arthur Cecil Pigou (1877-1959) – qui la décrivit dans son ouvrage de 1920, The Economics of Welfare (Macmillan), est rationnelle. Elle permet de combiner liberté individuelle et conséquences économiques.

« Mais, dans ce domaine, et à supposer que la taxe supplémentaire sur le tabac devienne pigouvienne (c’est-à-dire calculée en fonction du coût des externalités), il y a, en France, une situation exceptionnelle. La taxation du tabac est en effet loin de se faire au profit des soins ou de la prévention. Elle a servi et sert encore de bouche-trou dans les budgets -sociaux non financés que l’État invente au gré de nécessités souvent électorales. Car il s’agit d’octroyer des « droits à » sans en avoir le financement nécessaire.

•• « Ainsi, en 2000, le Fonds de financement de la réforme des cotisations sociales a bénéficié des faveurs de l’Etat, pourtant bien en mal de trouver le financement nécessaire. Ce fonds s’est ainsi vu attribuer 85,5 % du produit du « droit de consommation » sur les tabacs manufacturés. En 2012, pas moins de 11 affectataires se sont partagé les 11,13 milliards d’euros de ce produit, pour des fractions allant de 53,52 % pour la Caisse nationale d’assurance-maladie, à 0,31 % pour le Fonds de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante.

« Si la taxation n’est pas une solution aux vices des citoyens, on s’aperçoit qu’elle peut être la porte ouverte au vice de l’État, qui détourne l’argent prélevé sur la base de motifs bien intentionnés pour en faire des ressources fiscales destinées à financer sa politique ».

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