Déc 162016
 

En Autriche aussi, il existe des philosophes qui s’en prenne à l’hygiénisme autoritaire (voir NS 13 du 4 novembre) … Ainsi, Robert Pfaller, philosophe spécialiste du plaisir et professeur à l’université de Linz, explique dans une interview aux Inrocks que nous aimons fumer précisément parce que nous savons que cela nous fait du mal. Entretien entre vice, délice, et prise de risque.

• Instaurer un paquet neutre peut-il avoir une influence sur notre consommation de tabac ?

Robert Pfaller : Ni les mises en garde verbales ni les images de choc n’ont par le passé diminué la consommation de tabac. Donc, je pense que les couleurs ennuyeuses du paquet neutre vont juste détruire un peu de beauté, sans en revanche améliorer la santé de personne.

Car il faut savoir que dans notre culture, fumer ne relève pas du simple plaisir ou d’une addiction à une drogue. La première cigarette fait partie des rites de l’adolescence. Commencer à fumer en secret équivaut à ne plus obéir aux parents, à chercher son autonomie intellectuelle ainsi que sexuelle. De même, dans notre inconscient culturel et politique, fumer appartient traditionnellement à la vie publique, au citoyen, à l’homme public.

On fumait autrefois non pas à la maison, mais quand on était en société, pour paraître élégant et plaisant. Cet arrière-fond culturel demeure, et les campagnes anti-tabac actuelles représentent en ce sens une infantilisation des adultes, une offense à leur autonomie. Elles font partie d’une politique néolibérale de la privatisation de l’espace public, d’une propagande qui présente le bonheur de l’autre nécessairement comme un désavantage pour moi, que je ne peux pas partager.

Y-a- t- il nécessairement une part, même infime, de vice dans le plaisir ?

R. P. : Bien sûr. C’est ce qu’a remarqué Richard Klein dans son livre « Cigarettes Are Sublime ». On a toujours, plus ou moins, su que les cigarettes étaient dangereuses, et sans ça, nous ne les aurions jamais fumées.

Nous touchons ici à une loi fondamentale de tout plaisir culturel. Tout ce qui nous fait plaisir, tout ce qui nous donne le sentiment d’une vie digne d’être vécue, est lié à une qualité négative. Fumer nuit la santé, célébrer des fêtes requiert de l’argent, danser sans fin nous dérobe du sommeil, et même se promener équivaut à perdre son temps. La tentative d’éliminer ce côté vicieux du plaisir nous a mené au phénomène dit du « non-isme » : café sans caféine, bière sans alcool, sexualité sans contact physique, discussion sans gros mot, etc. Mais aucune de ces inventions ne nous ont apporté davantage de plaisir.

Ce qui est grandiose en revanche c’est notre capacité à nous servir de ces éléments vicieux et de les transformer en des éléments sublimes et exceptionnels, en les vivant dans le cadre de la célébration. La célébration est une formule magique qui nous permet d’exercer cette transformation du vice en sublime.

Cette injonction au bien-être est-elle une nouvelle forme de contrôle moral ?

R. P. : Oui. Les citoyens vivent aujourd’hui avec la peur latente de perdre leur travail. Ils s’imaginent, qu’en faisant des efforts sportifs, diététiques ou encore tout ce qui relève de la « self-optimisation », ils seront au-dessus des autres et donc mériteront encore leur place dans la société.

Les politiques également, en pointant nos responsabilités individuelles, nous tiennent responsables de leur propre impuissance. Les campagnes anti-tabac n’en sont qu’un exemple. Ils ne parviennent pas à changer la société et nous en tiennent pour responsables.

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