À l’occasion de l’augmentation des prix de lundi dernier, Le Parisien est revenu sur certains pionniers qui avaient commencé dès le 19ème siècle à alerter sur le tabagisme.
•• Sous le Second Empire, la vogue du tabac chaud – à mesure que la chique et la prise tombent en disgrâce sociale – conquiert la France. « Contamine plutôt », estiment quelques médecins, hygiénistes et moralistes, qui fondent le 11 juillet 1868 l’Association française contre l’abus du tabac qui devient la « Scat ».
« Le tabac et l’alcool ont pris dans nos mœurs une si grande place qu’ils y exercent en commun de si funestes effets sur la santé publique, sur l’ordre moral et social », proclame, en 1872, l’association, qui compte alors 607 membres. « Ce fléau » assure son président, Émile Decroix, vétérinaire dans l’armée, « est en partie responsable de la Commune à Paris un an plus tôt : « Sans la double ivresse alcoolique et nicotinique […], aucun peuple au monde n’aurait pu commettre les cyniques attentats dont nous avons été témoins. »
•• Dès 1865, Paul Jolly, éminent membre de l’Académie de médecine, avait prévenu : la nicotine, « c’est le zoosperme engourdi, c’est le désir éteint, c’est l’abaissement de l’homme vers l’état d’eunuque ». Et que dire alors de ces ramasseurs de mégots, accusés de propager la tuberculose en revendant leurs cigarettes reconstituées avec du tabac souillé (photo) ? En 1890, un greffier de justice livre les résultats de son enquête dans les prisons : « Voleurs et criminels sont souvent des fumeurs », établit M. Marambat.
•• Le docteur Depierris, lui, a bien observé l’exécution, le 28 novembre 1871, à Satory, de Théophile Ferré, un des leaders de l’insurrection parisienne : « Un parfait modèle de nicotiné précoce », juge-t-il « sa taille est rabougrie, son teint terreux, son oeil hagard. Il marche à la mort comme un halluciné, tirant avidement les longues bouffées narcotiques de son cigare, qui ne tombe de sa bouche que quand les balles ont frappé. »
Pour ces tabacophobes, c’est la patrie que « cet opium occidental » met en danger, comme il a sapé les Espagnols, condamnés au déclin pour avoir trop tiré sur les « belles Andalouses ». Tour à tour, ils prennent la plume pour dénoncer ces soldats aux « poitrines essoufflées » et aux « jambes trop amaigries » pour marcher vers l’ennemi prussien. La France est même menacée d’impuissance et de dépopulation.
•• Le chimiste Vauquelin (dès 1809) puis le physiologiste Claude Bernard ont respectivement établi le principe puis la toxicité de la nicotine. Sous les coups de boutoir de la Scat (qui n’obtient toutefois pas la reconnaissance d’utilité publique en 1881), les autorités dressent quelques timides interdits : la nuit dans les chambrées militaires, dans les bureaux de poste ou au bois de Boulogne, puisque le tabac serait « arboricide ».
•• En 1878, une affiche contre les méfaits du tabac chez les enfants est placardée dans les écoles du département de la Seine. Non content d’« empester l’air » ou de produire des « dépravés » et des « dégénérés », la cigarette consumerait le talent français, martèlent les pourfendeurs. « Hugo, Balzac, Michelet et Dumas père, les quatre génies dominateurs des lettres modernes » ne fumaient pas, assure Maurice de Fleury en 1890. Et si l’immense Flaubert tirait comme un damné sur sa pipe, il n’aura pas été un auteur très prolifique, poursuit le médecin qui pointe aussi le « désespoir effrayant » des vers de Baudelaire.