Voiles levés, barbes coupées, burqas brûlées, bouteilles de sodas partagées, sourires aux lèvres … et aussi, cigarettes aux lèvres.
Des femmes, souriantes et fumeuses. On a même l’impression qu’elles fument pour la première fois. Ces photos font le tour des réseaux sociaux.
Nous sommes à Manbij, en Syrie, pas loin de la frontière turque. Cette cité représente un enjeu stratégique du combat contre l’État islamique et justement, celui-ci vient d’en être chassé, vendredi, par des combattants, essentiellement kurdes, soutenus par la Coalition internationale.
Les affrontements ont duré deux mois. La population a sérieusement morflé. On parle de 400 morts.
Et le joug de l’État islamique s’est traduit par un mode de vie imposé multipliant les prohibitions et les contraintes sur les corps comme sur les consciences.
Une fois le joug levé, tout se libère. À commencer par la parole. Les droits reviennent, aussi. Dont le droit de fumer. Avec modération.
« Fidèle à ses valeurs de tolérance et de liberté, la Confrérie Jean Nicot condamne tous les actes de violence, de terrorisme, de prise en otages et d’atteintes à la vie d’autrui ».
C’est dans un climat marqué par les récents événements tragiques que le chapitre de Paris/Ile-de-France s’est réuni, ce mercredi 18 novembre. Et malgré ces tristes circonstances, près de 150 compagnons ont répondu à l’appel de cette traditionnelle soirée d’automne placée sous l’autorité du grand maître régional Gérard Bohelay.
Qui plus est, à bord d’un bateau-mouche qui a vogué au pied de grands monuments parisiens drapés aux couleurs nationales.
Parmi les intronisés de cette soirée, Dior Decupper (directrice générale de Seita), Bernard Soulier (président du club d’amateurs de cigares madrilène Los 100 Puros) et Stéphane Witkowsky (président du conseil de l’Institut des Hautes Études de l’Amérique latine et fin connaisseur de Cuba).
Entre discours d’intronisation et dégustation de cigares, les conversations sont restées graves. Le souvenir d’un célèbre compagnon Jean Nicot, Georges Wolinski, lui aussi tombé sous les balles du terrorisme et de la barbarie étant dans toutes les mémoires.
Au Québec, le paquet neutre est aussi dans les perspectives du prochain projet de loi de lutte contre le tabagisme. Michel Kelly-Gagnon, directeur de l’Institut économique de Montréal, quitte ses habits d’économiste pour expliquer – dans une tribune sur le site Contrepoints postée ce dimanche 20 septembre – pourquoi le débat sur le paquet neutre dépasse les questions juridiques (sur le droit des marques) et les batailles de chiffres (sur son impact).
« Voici, pour moi, la question importante que l’on évacue ici : acceptons-nous que des adultes, en toute connaissance de cause, puissent faire des choix, y compris des choix qui sont mauvais pour leur santé ? Les humains, au cours de leur vie, font un ensemble de choix et adoptent des comportements plus ou moins risqués incluant de faire des sauts en benji (saut à l’élastique / ndlr) ou en parachute, ou encore d’avoir des relations sexuelles multiples non protégées, ou bien de manger trop gras ou trop sucré. Et ils sont responsables de ces choix. Pour le meilleur ou pour le pire.
« Bon, peut-être qu’en 1950 ou en 1960, il y avait encore des gens qui ignoraient que le tabac était néfaste pour la santé. Mais, en 2015, absolument personne ne peut prétendre ignorer cette information …
« Au-delà de la guerre des statistiques, les principes de liberté et de responsabilisation doivent revenir au cœur des discussions entourant la consommation de tabac, ou de tout autre produit ou service jugés « nocifs » pour la santé.
« Rappelons que Mao avait rendu obligatoire pour les employés des entreprises d’Etat de faire de l’exercice chaque jour. C’était probablement bon pour leur santé. Enfin, on peut le supposer. Mais est-ce bien le genre de société dans laquelle nous voulons vivre ? Pas besoin d’être un libertarien radical pour commencer à se poser de sérieuses questions sur la tendance de certains groupes militants, et des politiciens qui les suivent, à vouloir régenter tous les aspects de la vie des gens, sous prétexte de protéger leur santé ».
On le sait, l’Australie se veut le pays d’avant-garde dans les mesures anti-tabac. C’est ce qui fascine notre Marisol Touraine, d’ailleurs. Même si leur efficacité n’est toujours pas fondamentalement prouvée : car cela fait une quinzaine d’années que le tabagisme baisse en Australie et on sait maintenant que le paquet neutre (obligatoire depuis décembre 2012) n’a absolument pas accéléré le mouvement. C’est même la croissance de la contrebande qui s’est accélérée.
Mais pour en revenir aux mesures d’avant-garde anti-tabac, on peut tomber aussi sur celle de trop … comme l’interdiction absolue de fumer en prison. C’est ce qui devait être appliqué à la prison de Melbourne (ainsi que dans l’ensemble de l’état de Victoria), ce 1er juillet …
Ça n’a pas traîné : la veille, 300 détenus mettent le feu dans certaines installations de la prison, cassent plusieurs équipements et se battent avec les policiers venus les calmer.
Huit blessés. L’équivalent de près de 6 millions d’euros de dégâts.
Et c’est bien l’interdiction totale de fumer qui a fait sortir les prisonniers de leurs gonds, si l’on ose dire. On imagine. Se retrouver en prison … et ne plus avoir le droit de fumer. Même dans les cours extérieures de prison ou autres lieux réservés exclusivement aux fumeurs jusque-là. Rappelons que plus de 80 % des prisonniers australiens sont fumeurs. C’est proprement inhumain.
Mais il suffit de jeter un œil sur le site Internet de l’administration pénitentiaire de l’état de Victoria pour comprendre comment un certain angélisme peut rejoindre la franche bêtise. Outre l’annonce de l’interdiction de fumer, il y est précisé que tabac, pipes, briquets et allumettes seront systématiquement confisqués en cellules. Avec les litanies d’usage : « les prisons sans fumée permettront d’arriver à un environnement de travail plus sûr et plus sain » (…) « le système pénitentiaire sera plus sûr » (…) « et ceux qui arrêteront de fumer auront une meilleure qualité de vie ». On vient de voir ce que cela donne.
Et les réactions n’ont pas manqué de surgir dans le pays.
• Le responsable de l’administration pénitentiaire de l’état d’Australie Occidentale (Perth) – où la mesure devait être appliquée le 10 août prochain alors que des zones-fumeurs extérieures sont encore disponibles pour les prisonniers – annonce qu’il va surseoir à son application. Selon Joe Francis : « beaucoup de mes responsables sur le terrain m’avertissent du risque de nouvelles émeutes. Et à titre personnel, j’ai la conviction que c’est la mesure de trop pour beaucoup de gens. Les détenus sont condamnés à la prison. Mais pas à une punition supplémentaire ».
• Certains font remarquer que cette interdiction de fumer en prison est déjà en vigueur dans l’état de Queensland (Brisbane) et sur le territoire de Tasmanie. Mais justement, on vient d’apprendre que la mesure était détournée : les prisonniers récupérant du thé de sachets pour le mélanger avec de la nicotine extraite de patchs …
• Un défenseur des droits des prisonniers, Julian Knight, est monté au créneau en expliquant que les responsables de la prison de Melbourne n’avaient pas fourni les patchs promis. Et il annonce que d’autres mouvements de prisonniers sont à attendre.
• Polémique aussi au niveau des anti-tabac : un professeur de santé publique de l’université de Sidney, Simon Chapman, partisan en général de l’interdiction de fumer, estime qu’empêcher les détenus de fumer dans les cours extérieures de prison finit par poser « des problèmes d’éthique » : « fumer dehors reste l’une de leurs quelques libertés ; c’est comme si l’on estimait qu’ils ne méritaient pas d’être traités comme les autres citoyens ».
• Autre position, celle d’une spécialiste de la défense des droits de l’homme, la docteure Bronwyn Naylor : tout le monde a encore le droit de fumer à l’extérieur et cela procure au détenu un plaisir et un sentiment de liberté personnelle « dans un environnement par ailleurs hautement contrôlé » (…) « l’expérience internationale montre que l’interdiction totale de ce que les gens continuent à aimer, cela ne débouche que sur le marché noir, le racket et la violence ».
Et l’on nous en remet une couche avec cette, désormais redondante, « Journée mondiale sans tabac ». Pluie de chiffres alarmistes ; avalanche de résolutions, avec, en toile de fond, le même discours culpabilisateur et de stigmatisation à l’égard du fumeur.
Attention : loin de notre esprit, la négation des dangers mortels représentés par le tabac. Ni du caractère parfaitement évitable des nombreuses pathologies qu’il entraîne avec son lot de drames humains et familiers.
Sauf que tous les fumeurs sont prévenus de ces risques. La France compte 13 millions de fumeurs. Dont la moitié déclare vouloir s’arrêter. Pas plus. Mystère. Et nous sommes une grosse majorité à assumer ce goût pour le tabac de façon responsable, sans incommoder les autres, ni faire de prosélytisme. Et nous avons le droit au respect, en tant que consommateur d’un produit légal.
Sur ce droit au respect. Il va même falloir insister un peu plus …
Et pour en conclure avec les chiffres, on pourrait entendre un discours sensiblement plus optimiste : à moyen ou long termes, sur les 5 ou 10 années passées, les chiffres du tabagisme sont à la baisse quasiment partout dans le monde. Lentement, peut-être, mais sûrement.
Et dans les quelques points où les taux augmentent, c’est bien souvent dû à des mouvements dans la structure de la population (pointe démographique ; immigration ou émigration ; conséquences de perturbations économiques, etc.).
En tant que fumeur, on sait bien à quel point tous ces discours – qu’ils se veulent alarmistes ou moralisateurs – tombent à côté de la plaque.
« Nous sommes 13 millions » s’adresse aux fumeurs adultes et responsables. En application de la législation française sur le tabac, les mineurs de moins de 18 ans ne sont pas autorisés à naviguer sur ce site.