On le sait, l’Australie se veut le pays d’avant-garde dans les mesures anti-tabac. C’est ce qui fascine notre Marisol Touraine, d’ailleurs. Même si leur efficacité n’est toujours pas fondamentalement prouvée : car cela fait une quinzaine d’années que le tabagisme baisse en Australie et on sait maintenant que le paquet neutre (obligatoire depuis décembre 2012) n’a absolument pas accéléré le mouvement. C’est même la croissance de la contrebande qui s’est accélérée.
Mais pour en revenir aux mesures d’avant-garde anti-tabac, on peut tomber aussi sur celle de trop … comme l’interdiction absolue de fumer en prison. C’est ce qui devait être appliqué à la prison de Melbourne (ainsi que dans l’ensemble de l’état de Victoria), ce 1er juillet …
Ça n’a pas traîné : la veille, 300 détenus mettent le feu dans certaines installations de la prison, cassent plusieurs équipements et se battent avec les policiers venus les calmer.
Huit blessés. L’équivalent de près de 6 millions d’euros de dégâts.
Et c’est bien l’interdiction totale de fumer qui a fait sortir les prisonniers de leurs gonds, si l’on ose dire. On imagine. Se retrouver en prison … et ne plus avoir le droit de fumer. Même dans les cours extérieures de prison ou autres lieux réservés exclusivement aux fumeurs jusque-là. Rappelons que plus de 80 % des prisonniers australiens sont fumeurs. C’est proprement inhumain.
Mais il suffit de jeter un œil sur le site Internet de l’administration pénitentiaire de l’état de Victoria pour comprendre comment un certain angélisme peut rejoindre la franche bêtise. Outre l’annonce de l’interdiction de fumer, il y est précisé que tabac, pipes, briquets et allumettes seront systématiquement confisqués en cellules. Avec les litanies d’usage : « les prisons sans fumée permettront d’arriver à un environnement de travail plus sûr et plus sain » (…) « le système pénitentiaire sera plus sûr » (…) « et ceux qui arrêteront de fumer auront une meilleure qualité de vie ». On vient de voir ce que cela donne.
Et les réactions n’ont pas manqué de surgir dans le pays.
• Le responsable de l’administration pénitentiaire de l’état d’Australie Occidentale (Perth) – où la mesure devait être appliquée le 10 août prochain alors que des zones-fumeurs extérieures sont encore disponibles pour les prisonniers – annonce qu’il va surseoir à son application. Selon Joe Francis : « beaucoup de mes responsables sur le terrain m’avertissent du risque de nouvelles émeutes. Et à titre personnel, j’ai la conviction que c’est la mesure de trop pour beaucoup de gens. Les détenus sont condamnés à la prison. Mais pas à une punition supplémentaire ».
• Certains font remarquer que cette interdiction de fumer en prison est déjà en vigueur dans l’état de Queensland (Brisbane) et sur le territoire de Tasmanie. Mais justement, on vient d’apprendre que la mesure était détournée : les prisonniers récupérant du thé de sachets pour le mélanger avec de la nicotine extraite de patchs …
• Un défenseur des droits des prisonniers, Julian Knight, est monté au créneau en expliquant que les responsables de la prison de Melbourne n’avaient pas fourni les patchs promis. Et il annonce que d’autres mouvements de prisonniers sont à attendre.
• Polémique aussi au niveau des anti-tabac : un professeur de santé publique de l’université de Sidney, Simon Chapman, partisan en général de l’interdiction de fumer, estime qu’empêcher les détenus de fumer dans les cours extérieures de prison finit par poser « des problèmes d’éthique » : « fumer dehors reste l’une de leurs quelques libertés ; c’est comme si l’on estimait qu’ils ne méritaient pas d’être traités comme les autres citoyens ».
• Autre position, celle d’une spécialiste de la défense des droits de l’homme, la docteure Bronwyn Naylor : tout le monde a encore le droit de fumer à l’extérieur et cela procure au détenu un plaisir et un sentiment de liberté personnelle « dans un environnement par ailleurs hautement contrôlé » (…) « l’expérience internationale montre que l’interdiction totale de ce que les gens continuent à aimer, cela ne débouche que sur le marché noir, le racket et la violence ».
De fait.
Harold Smoking