Fév 052017
 

« Gardons-nous que trop de bandeaux censeurs nous deviennent naturels » : la stigmatisation directe ou indirecte des fumeurs est à son paroxysme (paquets neutres ; suppression de toute publicité ; interdiction de certaines marques ; réprobation générale, à l’égard des défenseurs du tabac, des porte-paroles du « politiquement correct », etc.).

Certaines plumes commencent même à craindre les effets de cette épidémie « d’un absolu droit d’opprobre de la morale publique » dans d’autres domaines. Ainsi de l’écrivain Sylvain Prudhomme (révélation française de l’année 2014 de Lire avec « Les Grands ») qui, pourtant, « maudit l’industrie du tabac », applaudit aux paquets neutres et aux taxes, … mais il prend la défense des fumeurs face à leurs  censeurs dans une tribune de Libération de ce 3 février.

 « Je regarde souvent les fumeurs avec gratitude. Je les trouve héroïques. Je les trouve rassurants. Prêts pour s’adonner à leur vice à braver le froid des terrasses. A s’acquitter vis-à-vis de la collectivité, en compensation de leur supposée faute, de taxes exorbitantes. A porter publiquement, ceignant le paquet honteux dans lequel ils piochent, le stigmate de ce bandeau noir, proclamant en capitales implacables le châtiment qui les attend. À se voir, à chaque clope, promis – photos cadavériques à l’appui – à l’impuissance, l’infertilité, l’insuffisance respiratoire aggravée, la mort (…)

• Je trouve que côté bandeaux, on va fort. On dirait que la morale publique a sur les fumeurs un absolu droit d’opprobre. Qu’elle peut à loisir les montrer du doigt, les traiter en cancres. Cette même morale publique …à l’intransigeance pourtant largement sélective :  la même qui se fout assez royalement qu’il y ait des pauvres, des sans-abris, des refoulés, des bombardés par nos propres armées, des noyés par milliers chaque année en Méditerranée (…)

• « Fumer tue » : quitte à donner dans le truisme moralisateur, on pourrait en proférer de nombreux autres. « La pauvreté tue », « le refoulement des réfugiés tue », « l’exploitation du coltan tue », « la politique migratoire européenne tue », « le Mondial de football 2020, attribué par copinage au Qatar et préparé là-bas à coups de chantiers menés à cadences esclavagistes, tue ».

Constat dont la conséquence inéluctable devrait alors être, le moment venu, en préambule de chaque match regardé par la moitié de la planète (c’est pourtant un fan de ballon rond qui parle), l’affichage de ce bandeau qui ne serait pas moins vrai que celui ornant les paquets de tabac : « Regarder ce Mondial tue ».

• Est-ce le ton infantilisant de ces bandeaux qui m’agace ? L’imagerie macabre qu’ils infligent ? La disproportion du vice stigmatisé et de la violence avec laquelle la collectivité soudain lui tombe dessus, elle si oublieuse de tant de scandales ? Un peu de tout cela, sans doute. Mais aussi – surtout – la nature du ressort mobilisé pour frapper l’esprit des fumeurs : la peur. La menace d’atteinte à leur intégrité physique. C’est cela par-dessus tout qui devrait les pousser à s’abstenir : le souci de leur santé. Motivation essentiellement égoïste, autocentrée (…)

• Les slogans anti-tabac, dans la forme qu’ils prennent, parlent de notre époque et de ses paradoxes. Nous sommes fascinés par les années 70-80. Nous rêvons d’épanouissement, d’intensité, de liberté, d’adrénaline (…) Et pourtant, nous n’avons jamais été aussi occupés de nous-mêmes. Aussi inquiets de notre santé. Aussi soucieux de l’impact de telle ou telle protéine sur notre métabolisme. Aussi avides de discours prescripteurs sur notre bien-être. De conseils sur ce qui est sain ou malsain pour nous.

• Fumer tue, c’est certain. Fumer abîme, use, flétrit. Fumer à long terme peut tuer. Un peu plus que certaines choses. Un peu moins que d’autres. Gardons-nous pourtant que trop de bandeaux censeurs nous deviennent naturels. Je les imagine, dans un cauchemar : « Se coucher tard tue », « Voyager tue », « Aimer trop tue », « Multiplier les nuits blanches et les fêtes tue », « Boire des coups avec ses amis tue ».

Tout simplement : « Vivre tue ». Il n’y a pas que la mort clinique. Il y a l’autre : celle par endormissement, extinction, renoncement, perte d’intensité. Contre cette mort-là, aussi, il faudrait des bandeaux : « Ne penser qu’à sa santé tue », « Avoir peur tue », « Ne jamais courir le moindre risque tue », « Craindre à tout bout de champ la mort tue ».

  Une réponse sur “« On dirait que la morale a sur les fumeurs un absolu droit d’opprobre »”

  1. « Vivre tue », je cherchais un mot clefs. Il y en a mare des interdits. Je préférés vivre une vie de plaisir et de joie sa durée ne m’importe pas. On nous prive de nos liberté individuel, de notre libre arbitre. Les politiques nous prennent pour des idiots. Je connais les risques mais ces mon choix. Stop a la percussion.

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