Nos pages sont plutôt ouvertes aux droits des fumeurs … Mais quand un fumeur a décidé d’arrêter et qu’il livre un très beau texte sur le plaisir passé et ce qu’il en reste et restera toujours, on n’hésite pas. (Témoignage publié sur la page Santé de lexpress.fr de cette Saint-Valentin).
« Un ancien fumeur n’est pas un non-fumeur. C’est un fumeur non pratiquant. Un ancien fumeur vit avec cette tentation toute sa vie, comme le fumeur de crack reconnaît tout de suite un drogué, comme un alcoolique voit immédiatement les stigmates d’un autre. Chaque occasion est une lutte intense et intime. Même quand il n’y a pas d’occasion. Même quand c’est « juste » le bon moment pour une clope.
Chaque minute est une victoire silencieuse.
Car je sais bien ce qui se passe quand j’arrête de fumer. Mon esprit associe toujours l’effet de la nicotine à l’adrénaline, au stress ou à l’alcool, principales occasions d’en griller une. Tout le temps finalement : le déplaisir et le plaisir, le travail et la fête… Toutes les occasions sont bonnes. Même ne rien faire est une excellente occasion de fumer une cigarette.
Les anciens fumeurs devraient se constituer en association, comme les Alcooliques Anonymes. « Cela fait huit jours que je n’ai pas touché une cigarette ». Clap, clap, clap. Applaudissements. Le décompte dure toute une vie, et toute une vie on se rappelle que cet effort est méritoire, que chaque jour reste un combat.
Pourtant la dépendance physique ne dure que quelques jours. Mon esprit, lui, reste accro. Une fois, j’ai arrêté de fumer cinq ans. Certaines nuits, je rêvais du bonheur de tirer sur une clope. Je me voyais aspirer la fumée, provoquant ce petit grésillement de la braise, et recracher de longues volutes. C’était tellement bien.
On a beau en mourir, ce geste reste un summum. Une façon souveraine de dire : je m’en fous. C’est mauvais pour la santé, ça pue, ça coûte cher, ça rend dépendant, bref, je n’ai aucune bonne raison de fumer mais je le fais. Car qui rêve d’une vie raisonnable ? J’emmerde tout le monde. Exclure toute responsabilité, toute contrainte et même toute rationalité, c’est le principe de la clope. Un doigt d’honneur. Renoncer à cette part d’irrationnel, c’est déjà renoncer un peu à soi. C’est l’excuse que je me donne à chaque fois que je recommence.
J’ai allumé la première cigarette il y a vingt-cinq ans. J’ai arrêté. Plusieurs fois. Et là, ça fait huit jours que je ne fume plus. Clap, clap, clap. Mon petit auditoire mental me félicite. J’essaie de ne pas oublier le mérite que j’ai ».