Dans une tribune des Échos, le sociologue Jean-Pierre Martignoni (Centre Max Weber, Lyon-II) imagine que le gouvernement pousse à son paroxysme le « principe de précaution », déjà appliqué au pied de la lettre avec l’arrivée des paquets neutres.
« … Les 16 millions de fumeurs n’ont bien entendu guère d’arguments à opposer vu la dangerosité de la plante, régulièrement soulignée par les cancérologues. Le travail des débitants sera plus compliqué. Qui s’en soucie ? Les conséquences économiques sur les cigarettiers ? Qui s’en préoccupe ? Ces piliers de « l’industrie du vice » (alcool, tabac, jeux d’argent) ne sont pas en odeur de sainteté… même s’ils créent des emplois.
« La curieuse disparition du taux de nicotine et de goudron sur les paquets neutres constitue déjà un argument plus sérieux, comme l’augmentation probable du marché parallèle indiquant que nous sommes entrés dans une néoprohibition qui, historiquement, a toujours profité aux mafias, petites ou grandes.
« Par ailleurs, l’opinion publique, qui n’est pas composée que de fumeurs, pourrait ne pas comprendre cette mesure extrême, dans un moment où le gouvernement ouvre de coûteuses et contestables salles de shoot et où Jean-Marie Le Guen et Terra Nova demandent haut et fort la légalisation et la dépénalisation du cannabis, comme si c’était une priorité nationale. Le pétard, oui, la clope, non !
« Cette absence de logique dans la politique de lutte contre les addictions avec substance, son caractère socialement et culturellement ethnocentré, risquent d’irriter nos concitoyens, déjà très remontés contre le président, le gouvernement, les socialistes, les élites….
« Mais le risque le plus grand concerne le « principe de précaution » et ses conséquences sur l’économie s’il était généralisé. Après le paquet neutre, pourquoi pas les voitures neutres, les boissons neutres, les jeux d’argent neutres, les aliments neutres ?
« On imagine à quoi ressemblerait le parc automobile, si les voitures affichaient un « Rouler tue », avec photos bien sanglantes d’accidentés de la route à l’appui. Idem en matière de boissons, où les alcoologues, considérant le slogan actuel insuffisant et vieillot, imposeraient de nouvelles mesures liberticides. Bouteilles identiques, disparition des logos, couleurs et slogans, pour neutraliser les singularités fortes des différentes marques. Une phrase choc imprimée sur chaque flacon – Boire tue – que personne ne pourrait contester, compléterait le dispositif, ainsi que des photos horribles de têtes avinées ou de foie cirrhosés.
« Quant aux jeux d’argent, les jeux de grattage notamment – vache à lait de la FDJ -, on peut supposer que leur neutralisation permettrait de diminuer cet « impôt sur les imbéciles » tout en luttant contre le jeu pathologique, nouveau relais de croissance des addictologues. Si les Français étaient tous en CDI, mieux payés, avec une bonne retraite, s’ils payaient moins d’impôt, voyaient leur épargne correctement rémunérée … bref, s’ils étaient un peu plus heureux, peut-être consommeraient-ils moins d’alcool, de médicaments… et de tabac ? ».