Fév 072016
 

CinémaL’humour et la dérision comme anti-dote à la bêtise montante.

Nous ne résistons pas au plaisir de reproduire la chronique du vétéran Philippe Bouvard dans le Figaro Magazine de cette semaine. La récente offensive des anti-tabac contre le monde du cinéma l’a inspiré. Et sa plume est encore incisive comme il convient.

« Alors que, sur le plan de la prohibition du tabac, la salle d’enfumage de l’hôtel Matignon bénéficie d’un ultime sursis, la purification des écrans de cinéma contraint désormais les producteurs, les réalisateurs, les scénaristes et surtout les dialoguistes à réaménager à l’intérieur de chaque long-métrage le quart d’heure que les acteurs passaient généralement à pétuner. Avec des « séquences de substitution » très diversifiées.

• À un bar où il vient de faire la connaissance d’une femme forcément facile puisqu’elle lui accordera ses faveurs en moins de 90 minutes, le séducteur de service n’offrira plus du feu mais fredonnera après Brel « Je vous ai apporté des bonbons ».

• Les gros plans sur les volutes de fumée montant vers le plafond seront remplacés par des contre-plongées sur les détecteurs d’incendie obligatoires dans les locaux où ont lieu les échanges les plus torrides.

• Au silence observé par les comédiens en train d’inhaler ou d’expirer les dérivés de l’herbe à nicot qui ne faisait guère progresser l’action, on préférera le récit circonstancié (marques et prix) des menus achats effectués dans la journée, beaucoup plus révélateurs du caractère des personnages.

• Les minutes récupérées sur le lent allumage des cigares et leur extinction méticuleuse dans un cendrier seront utilisées pour commenter sur l’actualité sociale afin de situer politiquement les amants.

• Au mégot éteint collé aux lèvres (déjà en perte de vitesse depuis le déclin du papier maïs) succédera un harmonica miniature interprétant, le temps d’une ancienne bouffée, le leitmotiv musical du film.

• La disparition du plan-séquence dit du briquet où le héros cherchait en vain de quoi allumer sa cigarette permettra d’insérer des images subliminales sur les bronchites chroniques prêtées par le ministère de la Santé publique.

• Les décorateurs devront faire disparaître les anciens bureaux de tabac au bénéficie des vieux bureaux de bienfaisance.

• Dans les films ruraux, le téléphone portable prendra le relais de la bouffarde.

• Le mercredi des Cendres deviendra la fête nationale « dédiée à tous les citoyens ayant cessé de faire partir en fumée leurs économies et leur santé ».

• Dans les cours d’art dramatique, on enseignera les « mimiques de concentration » destinées à faire oublier la palpitation des narines et le rejet saccadé du poison honnis par la voie buccale.

• Il conviendra de prévoir l’engagement d’un aide-dialoguiste chargé de meubler les silences devenus démodés avec des petites conversations sympathiques sur le bricolage, le jardinage ou la vie associative.

• Les expressions pouvant rappeler de pernicieuses habitudes comme « allumeuse », « soupe fumante », « soldat du feu », « passage à tabac » seront bannies.

• Les doigts des vieux comédiens ayant beaucoup fumé devant la caméra seront maquillés afin d’éviter tout souvenir de vice.

• Dans les films dont les protagonistes ont besoin de réfléchir avant de parler, on autorisera le grignotage de quelques carrés de chocolat à condition qu’il soit noir.

• Dans les scènes de bistrot, les personnages consacreront à la boisson le temps qu’ils ne perdent plus à fumer.

• Les diseuses de bonne aventure ne seront plus gitanes mais auvergnates.

• Un licenciement sans indemnité sanctionnera les accessoiristes n’ayant pas pris la peine d’évacuer du décor des cendriers, un pot à tabac ou un râtelier à pipes.

• Lors de leur première rencontre, les futurs amants détailleront la façon dont ils se sont désintoxiqués, admireront leurs radios respectives et se féliciteront de l’amélioration de leur état général qui a suivi.

• Des radiateurs électriques relaieront dans les cheminées les feux de bois pouvant provoquer le rappel de combustions passées.

• Une subvention spéciale de l’État sera accordée au scénario montrant – dans des compositions de troisième rôle – la reconversion d’anciens buralistes dans une profession de santé.

• Les grandes compagnies cinématographiques seront encouragées à introduire dans leur scénario un sympathique pneumologue, lui aussi fumeur repenti.

Ainsi, la suppression des scènes tabagiques aura-t-elle donné au septième art ce brevet de noblesse qu’il avait perdu presque à ses débuts lorsque la locomotive à vapeur des frères Lumière était entrée dans la gare de La Ciotat ».

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