Déc 102023
 

Pro-tabac non. Anti-hygiéniste oui … Lagrégé de philosophie et auteur du livre « Espace fumeur » (voir 1 et 2) , Nathan Devers réagit dans un entretien Figaro Vox à linterdiction de fumer dans lespace public programmée dans le nouveau Plan national de Lutte contre le Tabac présenté cette semaine. Il voit dans ces mesures antitabac une forme de puritanisme qui tourne le dos à la liberté.

Le Figaro :  Comment avez-vous accueilli lannonce du ministre de la Santé sur linterdiction prochaine de fumer sur les plages et dans les parcs ?

Nathan Devers : Peu d’étonnement, mais une forme de lassitude croissante. Je nai pas été surpris par ce plan antitabac annoncé par le Gouvernement, ni même par les réactions indignées de certaines associations estimant que ce plan nallait pas assez loin. Cest la confirmation dune politique qui, depuis des décennies, fait tout pour congédier la cigarette de lespace public. On veut signifier clairement aux fumeurs quils nont plus leur place dans la société. Le mythe de la « pause clope », du tabac comme vecteur de socialité, de mystère, de poésie, de rêverie, d’érotisme, dinspiration, est définitivement mort. 

Face à cette tendance, ma réaction nest pas de proposer une défense irresponsable de la cigarette, de négliger les immenses dangers quelle véhicule, de porter un regard relativiste sur les vies quelle détruit, encore moins dinciter lhumanité à se carboniser les poumons. Mais de poser une simple question : quest-ce qui se consume, avec la cigarette ? (…) 

Le Figaro : Comment expliquer que le tabac, jadis perçu comme banal, soit désormais stigmatisé ?

N. D : Aujourdhui, le seul critère à laune duquel on va évaluer le tabac est le critère médical, envisagé du point de vue purement quantitatif de la diminution ou de laugmentation de lespérance de vie. On sait désormais, incontestablement, à quel point le tabac est dangereux pour la santé. Et il est absolument crucial dintensifier les politiques de prévention et de communication sur les méfaits du tabac. Mais ce critère-là, purement biologique, doit-il être le seul paramètre des décisions politiques et, à l’échelle individuelle, le seul paradigme de nos existences ? La première chose que je trouve significative est ce nivellement total de la réflexion à laspect médical-quantitatif

Ce que je critique nest absolument pas la médecine, encore moins lexigence de santé publique, mais lhygiénisme : cette noce pathologique du pouvoir et du savoir, cette pulsion de soigner qui devient maladive. Guérir les individus contre leur gré. Les guérir de leurs tares physiques autant que de leurs vices moraux. Les purifier avant tout des dangers de leur liberté.

Le Figaro : Pourtant la connaissance des dangers du tabac nest pas nouvelle, elle date des années 1960 au moins. Comment expliquer ce changement d’état desprit ?

N. D : La prise de conscience a quand même été salutaire. Ma défense de la cigarette nest pas celle dun criminel ! Il faut dire quil y a eu un mensonge gravissime dun certain nombre de promoteurs, comme Bernays aux États-Unis, qui ont eu recours à des procédés infâmes pour faire croire, non seulement que la cigarette n’était pas dangereuse, mais même quelle était recommandée par des médecins, en achetant des médecins pour des campagnes promotionnelles …

Je ne suis pas contre le fait de faire des grandes campagnes de communication pour expliquer aux jeunes à quel point la cigarette peut les tuer, leur donner des cancers, des problèmes cardiaques, neurologiques, etc.

Mais il y a tout un tas de gens qui sont conscients des risques quil y a à fumer, et qui refusent pour autant dabandonner la cigarette. Quest-ce que cela veut dire ? Que tout simplement nous refusons d’être dans la logique de ce que Nietzsche appelait « le dernier des hommes », celui qui incarne l’étape ultime du nihilisme, pour qui le seul critère dune vie réussie, cest que la vie soit aussi longue que possible, mais qui serait totalement incapable dexpliquer le pourquoi de ce désir de longévité. Or la beauté du concept nietzschéen de « grande santé » est précisément le contraire dune santé qui serait indemne de toute attaque. Cest une santé qui passe par la perspective de la maladie.

Le vrai problème de lhygiénisme, cest destimer quil est légitime politiquement dinterdire à un individu de faire du mal à sa propre santé. En cela lhygiénisme est incompatible avec lesprit de la démocratie. Lesprit de la démocratie, cest dempêcher les gens de faire du mal à autrui.

Là où il y a un glissement, où Roland Barthes percevait une « petite lueur inquiétante » (comprenez : totalitaire, dans sa langue), cest quand on enlève aux individus la possibilité de sautodétruire, même sils jugent que cest légitime.

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