Sep 142019
 

Coup de chapeau au chroniqueur et journaliste Éric Dior pour sa contribution au dernier numéro de Marianne. Il démontre avec brio la fonction centrale de bouc émissaire qu’endosse le fumeur dans et pour la société.

« Et vous, jeune homme, que faites-vous dans la vie ? » demandait une baronne victorienne à un jouvenceau prometteur imaginé par Oscar Wilde. « Je fume », répondait-il.  « C’est bien, concluait la douairière, car il est bon qu’un jeune homme ait une occupation ! » Une époque bénie où l’adepte de l’herbe à Nicot n’était pas encore traité comme un paria.

•• « Aujourd’hui, même indemne de toute tumeur maligne, ce galeux sait qu’il vit ses derniers jours. Après les principaux lieux publics, le voilà chassé des parcs, jardins, plages et terrasses de café. Il serait même question d’autoriser les propriétaires à refuser de louer leur bien à un fumeur. Une « discrimination » tellement dans l’air du temps qu’elle n’est dénoncée par aucun des tenants de la bien-pensance.

•• « On approche du point où le voisin de ce maudit sera en droit de se plaindre d’infiltrations nicotiniques entre deux lattes de plancher. Car, si l’adepte du cannabis est « cool », le clopeur montre par trop de nostalgie du « monde d’avant ». Rejeté à la lisière de l’humanité, il en grille une, le teint bilieux, recroquevillé comme un crabe sur la lunette des cabinets. Il survit en relisant son cher Dr Harry Roberts, auteur de Comment rester en forme. » Ce dernier ose écrire, en 1924, dans cet ouvrage maître : « consommer avec discernement le tabac n’est nullement nocif, comme en témoigne le nombre de fumeurs qui atteignent un âge respectable ! ».

« Une proclamation qui s’apparenterait, aujourd’hui, à une incitation à la débauche passible du bagne. Il est vrai que même un condamné à mort se verrait refuser par les croisés de l’hygiénisme sa dernière cigarette sous prétexte qu’elle « nuit à sa santé et à celle de son entourage » (en l’occurrence, le prêtre et l’avocat, chargés de recueillir ses dernières volontés). Pas sûr néanmoins que l’extinction programmée de cet ennemi public améliorerait tant que ça notre santé.

•• « Privé de défenseur et condamné à raser les murs, il a bel et bien une fonction centrale pour sauver ce qui reste de cohésion sociale. Sans lui, plus de souffre-douleur à piétiner sans risque. Et où trouver le pestiféré, coupable d’empoisonner ses contemporains et d’aggraver le déficit de l’assurance maladie ? Depuis les travaux de l’anthropologue René Girard, on sait que toute société a besoin pour durer d’un bouc émissaire.

•• « Honni, pressuré et accablé d’injures, le fumeur endosse sans protester depuis longtemps ce rôle peu enviable. Il est le « Paillasse  » qui jadis au cirque encaissait de bon cœur les taloches du clown blanc.

« En le vouant à disparaître, les fervents de l’hygiénisme prennent le risque fatal de ne pas lui trouver de remplaçant … »

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