C’est la dernière trouvaille de la députée PS Michèle Delaunay qui, à coup d’amendements, prétend censurer les films comportant des scènes de tabagisme, faire passer le paquet à 10 euros, voire 13 euros pour « couvrir » toutes les dépenses que nous générons – maudits fumeurs que nous sommes – à la société (« le fameux coût social » du fumeur, cause absolue de tous les déficits, la gabegie politique n’y étant pour rien, c’est bien connu …).
On ne peut que respecter cet engagement si énergique dans une cause, même si on n’en partage ni le fond, ni la forme. Mais ce n’est pas une raison pour en rajouter dans l’outrance … Sa récente interview dans le quotidien Sud Ouest, après l’annonce par Marisol Touraine de la possibilité d’un paquet neutre à 10 euros, suscite ainsi inévitablement des commentaires.
•• « Il faut éviter les maladies évitables pour des raisons humaines et financières. Mais le combat ne sera gagné que le jour où l’opinion publique le portera. Les médecins sont timorés. Michel Delpech n’est pas mort d’un cancer mais du tabac. Il n’existe pas de mot pour la maladie du tabac, le cancer n’est qu’une conséquence. Ce combat vaut-il le coup ? Sans tabac, on viderait les hôpitaux à 40 %.
•• « On faisait une médecine pastorienne qui traitait des maladies infectieuses et lésionnelles, on bascule dans une médecine comportementale. Les comportements des gens deviennent pathogènes : tabac, alcool, nutrition ».
• Et les cancers liés à certaines conditions de travail, à l’amiante ou à d’autres substances présentes dans notre vie quotidienne et dont on commence seulement à soupçonner la dangerosité, qu’en fait-on madame Delaunay ?
•• « À Pékin, depuis un peu plus de six mois, fumer dehors est interdit, sous peine d’une amende de 1 500 euros. Le tabagisme diminue ».
• Depuis le 1er juin 2015, il y est interdit de fumer dans les lieux publics clos. C’est tout (et c’est déjà beaucoup là- bas). Mais – sans mésestimer le tabagisme local – toutes les personnes qui fréquentent la capitale chinoise s’accordent pour rapporter que le problème sanitaire numéro 1 des Pékinois, c’est bien la pollution.
L’ONG Berkeley Earth a annoncé, l’été dernier, que respirer l’air de Pékin revient à fumer une quarantaine de cigarettes par jour.
•• « L’état des lieux est dramatique, il faut avoir le courage de le dire. Le tabac tue plus que les guerres, c’est le premier serial killer du monde. 6 milliards au 21ème siècle ».
• Sauf que nous ne sommes qu’au début du 21ème siècle et rien ne nous préserve, à l’horizon proche, de conflits hyper-meurtriers ou de catastrophes climatiques majeures.
Il ne s’agit pas de minimiser les ravages du tabac – première cause évitable de maladies mortelles, nous le savons tous – mais à force de le présenter outrancièrement comme s’il était la cause principale et essentielle de mortalité … on tue le discours de la prévention. Et on alimente le discours de stigmatisation des fumeurs (« que vous êtes faibles ! » ; « que vous êtes responsables ! »).
On survit au tabac. Il y a beaucoup d’autres causes – combinées les unes avec les autres – à la mortalité précoce.
Un monde sans tabac ne serait pas un monde d’immortels.
Sophie Adriano