Sep 262017
 

Un peu d’humour dans cet horizon sombre, ponctué de hausses de prix et de stigmatisations.

Le billet est signé Clara Georges, journaliste au Monde et publié dans le supplément M. Le pitch : l’espace se restreint pour les fumeurs, ces irresponsables dont il faut protéger les congénères. Presque comme l’ursidé, que tout le monde aime, lui.

« Pour les fumeurs, l’espace est en voie de disparition.

Ceux qui ont fréquenté les aéroports cet été l’ont forcément constaté. Soit que l’on ait parcouru, tremblotant d’angoisse avant un long-courrier, les couloirs des terminaux à la recherche d’une zone fumeurs ; soit que l’on soit tombé par hasard sur l’un de ces locaux vitrés, matérialisation spatiale de notre drôle d’époque.

L’espace fumeurs est un lieu fonctionnel, comme les toilettes, sauf qu’on n’a pas très envie de s’y attarder pour bouquiner.

Drôle, oui, j’insiste. Loufoque, même. D’un côté, on garde en cage des bébés pandas au zoo de Beauval pour, argumente-t-on, les protéger de la disparition. De l’autre, on enferme des humains irresponsables pour, avance-t-on, protéger leurs congénères. 

Drôles de bestioles que ces êtres solitaires réunis par leur seule addiction dans une pièce dégueulasse. Ils tapotent sur leur smartphone ou sur le bout de leur clope, regroupés autour de cendriers à hauteur d’homme. Ici, fumer devient une activité en soi. Pas question de s’en griller une pour accompagner le café, ni d’en allumer une dernière en chemin.

Dans l’espace fumeurs, on ne peut plus faire croire qu’on a la clope sociable, la bouffée conviviale. On fume parce qu’on en a besoin. C’est un lieu fonctionnel, comme les toilettes, sauf qu’on n’a pas très envie de s’y attarder pour bouquiner.

Voilà qui donne autrement plus à réfléchir que toutes les images gore à col­lectionner sur les paquets neutres. Car cette gorge trouée, ce poumon carbonisé, ce ne sont pas les miens, pas encore, pense le fumeur. Alors que là, dans le cagibi agrémenté de quelques plantes vertes préposées au suicide et de VMC surpuissantes, c’est bien moi. Les espaces fumeurs sont des salles de shoot au ralenti.

Quand j’étais enfant, l’habitacle de la voiture parentale était lui-même un espace fumeurs. On avait le choix entre inspirer un air opaque aussi épais qu’une crème chantilly, et prendre dans le nez 100 décibels et un vent de face à 160 km/h (à l’époque, ça roulait !). Aujourd’hui, il est interdit de fumer dans une voiture en présence d’un mineur, sous peine d’amende.

Quand je suis arrivée au journal, on fumait encore discrètement dans les services. Vers 18 heures, à l’économie, un chroniqueur en mal de mots allumait sa clope, suivi par deux-trois traînasseurs du soir qui s’appropriaient les lieux à coups de volutes. Au matin, il n’en restait qu’une vague odeur et des cendres sur les claviers. Puis sont arrivés les « pavillons des cancéreux », des salles clandestines, 5 mètres carrés sans ventilation et quelques photocopies jaunâtres de caricatures de presse au mur. Aujourd’hui, on fume dehors, en montant ou en descendant de quelques étages. Jusqu’à ce que l’interdiction s’étende aux terrasses et aux entrées d’immeuble …

J’ai lu hier que les dernières cabines téléphoniques allaient être démontées partout en France. Peut-être ­devrait-on les laisser en place, au cas où : elles feraient d’excellents espaces fumeurs, si d’aventure le tabac était un jour interdit dans les rues. »

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